Steve (nom d’emprunt) rêvait de devenir professeur d’école quand sa vie a basculé l’an dernier en Haïti. A cause de la recrudescence de la violence liée aux gangs dans son quartier, son école a été fermée et l’adolescent de 15 ans s’est retrouvé dans la rue, à la merci des groupes armés.
« Je suis rentré dans le gang en février 2021. Ils m’ont vu entrain de marcher et m’ont appelé et m’ont demandé de travailler pour eux. Il y’avait d’autres enfants comme moi ».
Selon un rapport de CAPAC (Centre d’animation paysanne et d’action communautaire), partenaire de l’ UNICEF dans l’Initiative Spotlight et OCNH (Organisation des citoyens pour une nouvelle nouvelle Haïti), 13% des enfants interrogés lors d’une enquête à Croix des Bouquets et à Port-au-Prince déclarent avoir été en contact directement ou indirectement avec des membres de gangs armés pour être recrutés. Ils proposent de payer aux enfants beaucoup d’argent, tout en menaçant de les tuer s’ils n’obtempèrent pas.
« Tous les jours, dès qu’ils m’envoient surveiller les policiers, ils vont me payer 1.500 ou 2.500 gourdes haïtiennes. Ils m’ont dit qu’ils me tueront si je ne veux pas rester avec eux », raconte Steve.
En 2021, des affrontements entre gangs armés rivaux ont éclaté dans certaines zones urbaines de la capitale Port-au-Prince. Plus de 19.000 personnes dont 15 000 femmes et enfants ont été contraints de fuir leur foyer en raison d’actes de violence tels que les tueries, les enlèvements et, des centaines de maisons incendiées ou endommagées.
Cette année, la guerre des gangs a repris de plus belle. Depuis le 24 avril dernier, un demi-million d’enfants ont perdu l’accès à l’éducation dans l’aire Métropolitaine de Port-au-Prince où quelque 1.700 écoles sont fermées, selon le ministère de l’Education nationale et de la formation professionnelle.
Enfance brisée
Steve menait une vie paisible d’enfant de banlieue. Il jouait avec son petit frère et ses deux petites sœurs, et jouissait pleinement de son enfance chez sa grand-mère.
« Je suis arrivé à la classe de 3e année fondamentale. J’avais l’habitude de faire du vélo, jouer au jeux vidéo et regarder des films jusqu’à la tombée de la nuit. Parfois, je partais chercher de l’eau pour ma grand-mère et je faisais aussi le ménage », se rappelle-t-il. En l’absence de son père, Steve était resté en contact avec sa mère. Et ses études comptaient pour lui car c’est l’unique moyen qu’il avait de réaliser son rêve. « Je passais chez ma mère pour aller à l’école étudier. Ensuite, je prenais mon livre pour lire ».
En affectant de plus en plus d’écoles, la violence a brisé le rêve des enfants de la capitale. Une évaluation menée entre avril et mai sur 859 écoles à Cité Soleil, Croix-des-Bouquets, Delmas, Ganthier, Port-au-Prince Nord et Sud, Pétion-Ville et Tabarre, a révélé que 31% des écoles ont été attaquées, 18% ne sont pas fonctionnelles et 6% sont complètement fermées, dont 78,4% en raison de la violence. 8,2 % des écoles sont occupées, dont 72,3% par des bandes armées et 12,3% par des familles déplacées. Le nombre d’élèves dans les classes est passé de 238.000 au début de la crise des gangs en avril à 184.000 maintenant.
« Donner aux enfants des armes pour combattre et les utiliser comme soldats ou espions est une violation des droits de l’enfant et, est condamnée par les lois nationales et internationales. Cela m’attriste que les enfants désireux d’apprendre et les enseignants désireux d’éduquer ne puissent pas le faire parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité. Les enfants doivent pouvoir aller à l’école en toute sécurité, jouer librement et profiter de leur enfance, et avoir la possibilité de développer leur plein potentiel », a déclaré Bruno Maes, Représentant de l’UNICEF en Haïti.
Le cercle vicieux : violence - écoles fermées - enfants recrutés - violence
La violence, la fermeture des écoles et l’oisiveté mènent inexorablement au recrutement des enfants dans les groupes armés qui font encore plus de violence. « Il y a toujours des tirs là où j’habite et souvent, les gens ne peuvent pas sortir. Les écoles sont fermées et nous sommes tous abandonnés dans la rue. Quand on vit dans la rue, on devient enfant de la rue, et c’est ce qui nous fait entrer dans les gangs », justifie Steve.
Steve a maintenant été arrêté et attend son procès pour des accusations liées à son activité de gang. Pendant sa détention, il est aidé par la Brigade de protection des mineurs (BPM) soutenue par l’UNICEF.
En 2021, plus de 95% des enfants incarcérés en Haïti étaient en détention préventive prolongée. La BPM travaille pour s’assurer qu’il peut bénéficier de lois en vigueur qui lui assureront un processus judiciaire rapide et opportun. Jusqu’à présent, l’UNICEF a soutenu la création de tribunaux pour enfants (TPE) dans les départements de l’Ouest, du Sud et du Nord.