L’Afrique subsaharienne francophone, moteur de la croissance africaine pour la 10e année consécutive
Pour la dixième année d’affilée, et la onzième fois en douze ans, l’Afrique subsaharienne francophone a globalement affiché, en 2023, la croissance économique la plus élevée d’Afrique subsaharienne, tout en demeurant la partie la moins touchée par l’inflation, ainsi que la partie la moins endettée. Cette triple performance devrait de nouveau se répéter en 2024.
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Selon les données disponibles auprès de la Banque mondiale à la date du 10 septembre dernier, l’Afrique subsaharienne francophone a réalisé en 2023 les meilleures performances d’Afrique subsaharienne en matière de croissance pour la dixième année consécutive et la onzième fois en douze ans. Cet ensemble de 22 pays a ainsi enregistré une croissance globale de 4,8 %, tandis que le reste de l’Afrique subsaharienne a enregistré un taux de seulement 2,3 %. Dans le même temps, et à partir des dernières estimations du FMI, l’Afrique subsaharienne francophone a continué, comme depuis plusieurs décennies, d’afficher le niveau d’inflation le plus faible, avec un taux de seulement 7,2 %, compte tenu du contexte international, contre 31,2 % pour l’Afrique subsaharienne non francophone. Enfin, et toujours selon les données du FMI, l’Afrique subsaharienne francophone continue à maîtriser son niveau d’endettement, avec une dette publique s’établissant à 51,3 % du PIB en 2023, soit un écart en hausse à 15,8 points de pourcentage avec le reste de l’Afrique subsaharienne (67,1 %).
Une croissance globale de 4,8 % en 2023, portée par de nombreux pays dynamiques
La croissance économique en Afrique subsaharienne francophone a donc connu une légère baisse par rapport à 2022, lorsqu’elle s’était établie à 5,2 %. De son côté, l’Afrique subsaharienne non francophone a observé une importante baisse du rythme de croissance, qui était de 3,2 % en 2022.
En zone CFA, qui regroupe 13 des 22 pays francophones (dont la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole et partiellement francophone), ainsi que la Guinée Bissau (lusophone et ancienne colonie portugaise), et qui rassemble 55 % de la population de l’Afrique francophone subsaharienne (et 44 % de celle de l’Afrique francophone), la croissance est passée de 4,6 % en 2022 à 4,1 % en 2023. Au sein de cette zone, et bien qu’affecté par les cours encore relativement élevés des hydrocarbures et de certaines denrées alimentaires importées, l’espace UEMOA a continué à se distinguer avec une évolution globale de 5,2 %, confirmant ainsi son statut de plus vaste zone de forte croissance du continent (avec désormais le reste de l’Afrique de l’Ouest francophone), alors même qu’il n’en est pas la partie la plus pauvre (l’Afrique de l’Est étant la partie la moins développée du continent). Pour sa part, l’espace CEMAC, qui compte notamment trois importants producteurs d’hydrocarbures, a de nouveau fait baisser la moyenne globale de la zone CFA, avec un taux de croissance de 2,2 % (contre 3,1 % en 2022).
Quant à la croissance observée en Afrique subsaharienne hors zone CFA, celle-ci s’est élevée 2,5 %. Un taux tiré vers le haut par les pays francophones en faisant partie, et dont la croissance globale a été de 6,7 %. L’Afrique de l’Est francophone, qui se situe justement en dehors de la zone CFA, a enregistré une progression globale de son PIB de 5,2 %.
Par ailleurs, sept des dix plus fortes croissances réalisées en 2023 l’ont été par des pays francophones, de la RDC (8,6 % et première) au Bénin (6,4 %, huitième). Le premier pays non francophone, l’Éthiopie, arrive en sixième position (6,5 %). Il convient là de noter que ce classement n’intègre pas le cas très particulier du Rwanda, qui ne peut plus être pris en compte étant donné que les performances officielles (8,2 % de croissance) sont largement faussées par le pillage massif des richesses de la RDC voisine, qui représentent désormais plus de 40 % des exportations rwandaises (et accompagné de massacres de populations civiles). Un cas unique au monde, permis par une féroce protection diplomatique des États-Unis… et par le silence de la quasi-totalité des pays africains.
Les quatre premières économies de l’Afrique subsaharienne francophone ont continué à enregistrer une croissance économique assez vigoureuse. La Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal, ont ainsi affiché, respectivement, un taux de 6,5 %, 8,6 %, 4,0 % et 3,7 %. De leur côté, les quatre premières économies d’Afrique subsaharienne non francophone, à savoir l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie et le Kenya, ont réalisé des performances contrastées (respectivement 0,6 %, 2,9 %, 6,5 % et 5,4 %).
Sur la décennie 2014-2023, la croissance annuelle de l’Afrique subsaharienne francophone s’est donc établie à 3,9 % (et même à 4,3 % hors cas particulier de la Guinée équatoriale), contre 2,0 % pour l’Afrique subsaharienne non francophone. Ce taux a été de 3,7 % pour la zone CFA (4,2 % hors Guinée équatoriale), et de 2,2 % pour l’Afrique subsaharienne hors zone CFA (dont la partie francophone a connu une croissance annuelle de 4,5%). Huit des dix plus fortes croissances réalisées sur cette décennie l’ont été par des pays francophones, de la Côte d’Ivoire (6,3 % et deuxième) au Togo (4,9 %, dixième). Les pays non francophones étant l’Éthiopie (première, avec un taux de 7,8 %) et la Tanzanie (5,4 %, septième). La bonne performance de l’Éthiopie s’explique en bonne partie par le fait qu’elle était encore le deuxième pays le plus pauvre du monde en 2012, ce qui permettait d’atteindre facilement des taux de croissance très élevés.
Les quatre premières économies francophones, la Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal, ont respectivement enregistré une croissance annuelle de 6,3 %, 5,8 %, 3,8 % et 5,2 %. Pour leur part, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie et le Kenya, ont respectivement connu une progression annuelle de 0,7 %, 2,0 %, 7,8 % et 4,6 %. Pour rappel, l’Angola faisait partie de ces quatre premières économies, avant d’être dépassée par le Kenya et l’Éthiopie en 2016. En effet, ce grand pays pétrolier et important producteur de diamants a enregistré une croissance annuelle nulle sur cette la décennie écoulée (0,01 % !).
Le Nigeria et l’Afrique du Sud, gros producteurs de matières premières, continuent de souffrir de graves problèmes structurels, aggravés par un niveau élevé de corruption, de détournements de fonds et de criminalité. Leur manque de dynamisme semble durablement installé selon les prévisions de la Banque mondiale, qui continue de tabler sur de faibles croissances au cours des quelques prochaines années, au moins. Ces deux pays se sont même appauvris au cours de la dernière décennie, ayant affiché des taux de croissance régulièrement inférieurs à leur croissance démographique (2,0 % contre 2,5 % en moyenne annuelle pour le Nigéria, et 0,7 % contre 1,2 % pour l’Afrique du Sud). Cette mauvaise santé économique s’est donc naturellement répercutée sur la valeur de leur monnaie, qui a connu une très forte dépréciation face au dollar au cours des dix dernières années, avec une baisse de 83 % et 43 %, respectivement.
Bien que le Nigeria soit le premier producteur africain de pétrole depuis plusieurs décennies, le pays a souffert d’une importante baisse de sa production en la matière, alors même qu’il n’est toujours pas parvenu à diversifier son économie, dont les exportations reposent encore à environ 90 % sur les hydrocarbures. Aujourd’hui, et malgré de colossaux revenus pétroliers accumulés depuis son indépendance, le Nigeria affiche le troisième plus faible niveau d’espérance de vie au monde (estimée à 53,6 ans en 2022, selon les dernières données de la Banque mondiale), et également le troisième taux le plus élevé au monde en matière de mortalité infantile. Enfin, il est également à noter que le pays demeure également très en retard en matière d’électrification, avec un taux d’accès à l’électricité de seulement 60,5 % de la population fin 2022 (toujours selon la Banque mondiale).
Des difficultés en matière d’électrification que l’on rencontre également dans une certaine mesure en Afrique du Sud, dont l’économie est fragilisée, entre autres, par d’importants délestages dépassant parfois les 10 heures par jour dans les grandes villes du pays, qui affiche un taux d’accès à l’électricité de 86,5 % (contre par exemple, 100 % au Maghreb, et avec quasi-absence de délestages). Quant à l’Éthiopie, le pays semble s’être remis de la terrible guerre civile ayant provoqué la mort d’environ 600 000 personnes en seulement deux ans, entre novembre 2020 et novembre 2022. Enfin, le Kenya a réussi à surmonter une partie des ses graves difficultés économiques post-covid, qui s’étaient notamment traduites par un effondrement des réserves de change, d’importantes coupes budgétaires et l’incapacité provisoire de payer un certain nombre de fonctionnaires. Toutefois, les tensions sociales demeurent vives, avec notamment de violentes manifestations cet été, ayant entrainé la mort de plusieurs dizaines de personnes.
En Afrique de l’Ouest francophone
L’Afrique de l’Ouest francophone a affiché une croissance de 5,2 % en 2023, après une hausse de 5,5 % en 2022. Pour sa part, la zone UEMOA, qui recouvre les pays francophones de la région à l’exception de la Mauritanie et de la Guinée (et qui est composée de huit pays, dont la lusophone, mais très francophonophile et faiblement peuplée, Guinée-Bissau), a vu également son PIB augmenter de 5,2 %, après une évolution de 5,5 % aussi en 2022. Avec une croissance annuelle de 5,5 % en moyenne sur la décennie 2014-2023, l’espace UEMOA confirme ainsi son statut de plus vaste zone de forte croissance du continent, avec désormais le reste de l’Afrique de l’Ouest francophone également, en dépit des problèmes sécuritaires connus par certains pays de la zone sahélienne, et du ralentissement observé au Burkina Faso et au Niger (croissance de 3,0 % et 2,5 %, respectivement, en 2023).
Il convient de souligner que le statut de zone la plus dynamique du continent constitue une très bonne performance pour l’UEMOA, vu que la région la plus pauvre du continent, et qui devrait donc connaître la croissance la plus élevée, est l’Afrique de l’Est. Ainsi, à titre d’exemple, et en dehors de la francophone Djibouti, seul un pays d’Afrique de l’Est continentale affiche au terme de l’année 2023 un PIB par habitant dépassant ou avoisinant la barre des 1 500 dollars, à savoir le Kenya (1 950 dollars, suivi loin derrière par l’Éthiopie, 1 294 dollars, selon la Banque mondiale). Dans le même temps, trois pays francophones de l’espace UEMOA réalisent cette performance, en l’occurrence la Côte d’Ivoire (2 729 dollars), le Sénégal (1 746) et le Bénin (1 435). Et même cinq pays pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest francophone, en tenant compte de la Mauritanie et de la Guinée, aux importantes richesses minières (et auxquels s’ajoutent, pour toute l’Afrique de l’Ouest continentale, le Nigeria pétrolier et le Ghana, important producteur de pétrole et premier producteur africain d’or). Par ailleurs, l’Afrique de l’Est est également la partie la plus instable du continent, puisque l’on y trouve notamment les pays ayant connu les conflits les plus meurtriers de la dernière décennie, proportionnellement à leur population (le Soudan, actuellement ravagé par la guerre civile, le Soudan du Sud et l’Éthiopie). Des conflits auxquels s’ajoutent un certain nombre de problèmes sécuritaires (terrorisme islamique en Somalie, dans le nord du Mozambique, en Ouganda…), et de tensions interethniques, comme en Éthiopie où elles avaient déjà provoqué la mort de nombreuses personnes avant même le début de la guerre civile, fin 2020 (ce qui en fait l’un des pays africains souffrant des plus fortes tensions sociales, avec, en particulier, l’Afrique du Sud et ses plus de 27 000 homicides en 2023).
Par ailleurs, et grâce à une croissance de 6,3 % en moyenne sur la décennie 2014-2023, soit la plus forte progression au monde de ces dix dernières années pour la catégorie des pays qui avaient un PIB par habitant supérieur à 1 000 dollars en début de période, la Côte d’Ivoire est récemment devenue le premier - et encore le seul - pays africain disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant a atteint 2 530 dollars en 2023 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons). La Côte d’Ivoire devrait d’ailleurs bientôt devancer également le Honduras, dont le PIB par habitant s’est établi à 3 247 dollars en 2023. Ce dynamisme a également permis au pays de dépasser le Kenya, et de réussir l’exploit de devancer le Ghana et le Nigeria (2 238 et 1 621 dollars, respectivement), pays voisins regorgeant de richesses naturelles, avec des niveaux de production considérablement supérieures (le Nigeria a produit au cours de la dernière décennie environ 50 fois plus de pétrole que la Côte d’Ivoire, et le Ghana a extrait six fois plus de pétrole et trois à quatre fois plus d’or). Ce dernier vient d’ailleurs, en 2023, d’être également dépassé par le Sénégal (1 746 dollars), qui a réalisé un taux de croissance annuel 2,6 fois supérieur sur la dernière décennie (5,2 % contre 2,0%), et devrait aussi être devancé cette année par le Bénin, qui a connu une progression près de trois fois supérieure sur la même période (5,4 %, et 6,4 % en 2023).
Quant au Niger, ce pays enclavé n’est désormais plus le pays le plus pauvre d’Afrique de l’Ouest, ayant dépassé la Sierra Leone en 2017 (618 dollars par habitant en 2023, contre 433 dollars). De plus, le pays pourrait prochainement dépasser le Liberia, autre pays anglophone côtier (799 dollars). Après avoir réalisé une croissance annuelle de 5,4 % sur la décennie 2014-2023, le Niger devrait d’ailleurs bientôt quitter la liste des dix pays les plus pauvres du continent, et dépasse désormais non moins de neuf pays africains en matière de développement humain, selon le dernier classement de la fondation Mo Ibrahim, publié en janvier 2023. Un classement plus fiable que celui de l’ONU, qui comporte de nombreuses incohérences, et qui a longtemps et étrangement placé systématiquement le Niger, au taux de fécondité le plus élevé au monde, à la dernière position du classement (même derrière un pays comme le Soudan du Sud, pourtant réputé être le moins développé du continent, comme la Somalie, simplement non classée…). Il est d’ailleurs à noter que le taux de fécondité en Sierra Leone est près de 40 % inférieur à celui du Niger (3,8 enfants par femme, contre 6,1, en baisse également). Toutefois, le coup d’État militaire de juillet 2023 pourrait remettre en cause le décollage économique du pays, où d’importants projets de développement entamés ces quelques dernières années sont aujourd’hui à l’arrêt (comme le chantier de construction d’un grand barrage hydroélectrique sur le fleuve Niger, qui devait entrer en activité en 2025, et permettre d’augmenter considérablement la production électrique du pays, tout en l’affranchissant de sa dépendance en la matière à l’égard du Nigeria, et en offrant à son agriculture non moins de 45 mille hectares de nouvelles terres irriguées et hautement fertiles).
Les bonnes performances de l’Afrique de l’Ouest francophone s’expliquent principalement par les nombreuses réformes entreprises par les pays de la région, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de bonne gouvernance. Des plans de diversification ont ainsi été mis en place, en un effort particulier a été réalisé afin d’améliorer le climat des affaires. Un effort grâce auquel certains pays ont fait un bon considérable dans les classements internationaux en la matière, comme dans celui que publiait la Banque mondiale jusqu’en 2019 (édition 2020). En effet, et entre les éditions 2012 et 2020 de ce classement, d’importantes progressions avaient notamment été enregistrées par le Togo (passé de la 162e à la 97e place), la Côte d’Ivoire (de la 167e place à la 110e place), le Sénégal (de la 154e à la 123e) ou encore le Niger (passé de la 173e à la 132e place, talonnant ainsi le Nigeria, 131e). Pays francophone le moins bien classé d’Afrique de l’Ouest, la Guinée était toutefois passée de la 179e à la 156e place sur la même période.
À titre de comparaison, il convient de savoir, par exemple, que la Nigeria, l’Éthiopie et l’Angola se classaient à la 131e, 159e et 177e place, respectivement. Par ailleurs, il est à noter que plus aucun pays francophone ne figurait aux six dernières places de ce classement international, désormais majoritairement occupées par des pays anglophones.
Dans un autre registre, et mis à part l’année 2020, particulièrement marquée par la pandémie, il est utile de souligner que la croissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone est globalement et régulièrement deux fois supérieure à sa croissance démographique, contredisant ainsi certaines théories assez médiatisées. Grâce au cadre favorable instauré par les différentes réformes en matière d’économie et de bonne gouvernance, cet essor démographique contribue donc à son tour au dynamisme économique, en permettant notamment au marché intérieur de ces pays d’atteindre une masse critique nécessaire au développement de nombreuses activités. Il convient d’ailleurs de rappeler que la plupart des pays francophones de la région demeurent encore assez faiblement peuplés. À titre d’exemple, la Guinée et le Burkina Faso, légèrement plus étendus que le Royaume-Uni (et non deux à trois fois plus petits comme l’indique la majorité, bien trompeuse, des cartes en circulation dans les médias et établissements publics ou privés), ne comptent respectivement que 14 et 23 millions d’habitants, contre près de 69 millions pour le Royaume-Uni. Quant à la Côte d’Ivoire, un tiers plus étendue mais ne comptant que 31 millions d’habitants, elle abriterait aujourd’hui une population de 91 millions d’habitants si elle était proportionnellement aussi peuplée que le Royaume-Uni.
En Afrique centrale francophone
La croissance globale en Afrique centrale francophone a atteint 4,1 % en 2023, en baisse par rapport au taux de 4,7 % enregistré l’année précédente. Une évolution qui résulte essentiellement de la mauvaise performance de la Guinée équatoriale, cas particulier et dont le PIB s’est de nouveau fortement contracté (- 5,7 %).
Au Cameroun, qui dispose de l’économie la plus diversifiée de la région, la croissance s’est établie à 4,0%, en hausse par rapport à 2022 (3,6 %). Grâce à une progression annuelle de son PIB près de deux fois supérieure à celle du Nigeria voisin au cours de la dernière décennie (3,8 % contre 2,0 %), le Cameroun vient lui aussi, en 2023, de réaliser l’exploit de dépasser ce pays en termes de richesse par habitant (1 674 dollars en 2023), malgré une production pétrolière presque exactement vingt fois inférieure sur la période 2014-2023.
Pour sa part, la République démocratique du Congo (RDC), première économie d’Afrique centrale francophone, a enregistré une croissance de 8,6 %, aussi robuste qu’un an plus tôt (8,9 %). Après une longue période de stagnation, il est à noter que la RDC est désormais engagée dans un vaste processus de réformes administratives, fiscales et juridiques, entamé en 2020 et étant le plus sérieux et ambitieux depuis la chute de Mobutu en 1997, et même, en réalité, depuis les premières années de l’indépendance du pays. Ces réformes, qui commencent à porter leurs fruits (avec, par exemple, l’augmentation de 130 % du montant de la TVA collectée rien qu’en 2021, grâce à l’informatisation de la procédure), devraient aider ce pays, où l’État est encore presque absent de certaines parties du vaste territoire national, à continuer d’enregistrer une croissance robuste dans les prochaines années.
En zone CEMAC (dont ne fait pas partie la RDC), la hausse du PIB s’est établie à 2,2 % en 2023, en baisse significative par rapport à 2022 (3,1 %), principalement du fait de la forte contraction de l’activité en Guinée équatoriale. Au Gabon, le taux de croissance a atteint 2,3 %, contre 3,0 % un an plus tôt. Grâce aux grandes avancées réalisées au cours de la dernière décennie en matière de diversification, de bonne gouvernance et de facilitation des affaires, ce pays d’Afrique centrale réaffirme son statut de pays le plus riche d’Afrique continentale, avec un PIB de 8 420 dollars par habitant en 2023, creusant ainsi légèrement l’écart avec le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants, après la Russie (7 250 dollars).
Si le Gabon et le Cameroun s’emploient à réformer et à diversifier leur économie, force est de constater que pareils efforts n’ont pas encore été réellement entrepris au Congo voisin, qui n’a enregistré qu’une faible évolution de son PIB en 2022 (1,9 %), après une hausse elle aussi décevante l’année précédente (1,5 %). Les mauvaises performances économiques du pays traduisent l’absence de profondes et courageuses réformes, comme l’atteste le fait qu’il continue à occuper l’une des dernières places des classements en matière de climat des affaires (le pays s’était classé à la 180e place sur un total de 190 pays étudiés, dans le dernier classement publié par la Banque mondiale, soit, à peu près, au même niveau que l’Angola, 177e).
Autre conséquence de ce manque de réformes, le Congo demeure le pays le plus endetté d’Afrique subsaharienne francophone, en termes de dette publique, et arrive à la cinquième position des pays les plus endettés d’Afrique subsaharienne. Le Congo-Brazzaville gagnerait donc à s’inspirer de certains de ses voisins, et notamment du Gabon avec lequel il partage nombre de points communs (caractéristiques géographiques et climatiques, production pétrolière significative, faible population…).
Par ailleurs, et pour revenir à la Guinée équatoriale, ce pays constitue un cas très particulier qu’il convient régulièrement de rappeler afin d’éviter toute fausse interprétation des statistiques régionales depuis presque une décennie. Peuplé de près de deux millions d’habitants, et un peu moins étendu que la Belgique, ce petit territoire, partiellement francophone et ancienne colonie espagnole, était subitement devenu l’un des principaux producteurs africains de pétrole à la fin des années 1990, avant de voir rapidement sa production commencer à décliner grandement quelques années plus tard. N’étant pas encore parvenu à diversifier suffisamment son économie, il a donc connu une chute presque ininterrompue de son PIB depuis 2015 (à l’exception d’un léger rebond en 2021 et 2022), avec une croissance annuelle négative de -4,7 % sur ces neuf dernières années.
En Afrique de l’Est francophone
La croissance globale de cette partie du continent s’est établie à 5,2 % en 2023, contre 5,9 % l’année précédente. Maurice et les Seychelles, où le secteur touristique occupe une place particulièrement importante, ont enregistré une croissance de 7,0 % et de 3,2 %, respectivement, après le rebond spectaculaire observé en 2022 suite à la levée de la grande majorité des restrictions sur les voyages qui avaient été mises en place à la suite de la pandémie.
De son côté, Madagascar, pays le plus peuplé et première économie de la zone (en termes de PIB nominal), a réalisé une croissance de 4,0 % (contre 3,8 % un an plus tôt). Quant au Burundi, et malgré une progression assez modeste de 2,7 %, ce pays voisin de la RDC a enregistré son taux de croissance le plus élevé depuis 2014 (hors rebond post-covid), et devrait même connaître une hausse d’environ 3,8 % de son PIB en 2024. Une amélioration que l’on observe depuis la fin du régime de Pierre Nkurunziza, en juin 2020, et dont les quinze années passées au pouvoir s’étaient caractérisées par une absence quasi totale de réformes, ainsi que par une gouvernance particulièrement inadaptée.
Afin d’accélérer leur croissance, Madagascar et le Burundi, qui ne manquent pas d’atouts, gagneraient à s’inspirer des nombreux pays francophones du continent ayant réalisé de très importantes avancées en matière de bonne gouvernance, de diversification et d’amélioration du climat des affaires. Des avancées qui permettent notamment à l’Afrique subsaharienne francophone d’être, année après année, le moteur de la croissance africaine.
Pour sa part, Djibouti a vu sa croissance bondir à 6,7 %, contre 3,7 % en 2022. Ce pays de la corne de l’Afrique a ainsi réalisé une progression annuelle de 5,3 % en moyenne sur la décennie 2014-2023, et ce, en tirant profit de sa situation géographique stratégique qui lui permet de devenir progressivement une plaque tournante du commerce international, grâce notamment à des investissements massifs en provenance de Chine. Pourtant, seule une quinzaine d’entreprises françaises sont implantées dans ce pays, avec lequel la compagnie aérienne Air France n’assure qu’un seul et unique vol hebdomadaire direct avec Paris. Contraste saisissant avec les sept vols directs assurés par Turkish Airlines en direction d’Istanbul, ou encore avec les trois liaisons assurées par le groupe Emirates vers Dubaï.
Cette faible présence économique de la France à Djibouti, tout comme en RDC, premier pays francophone du monde et pour lequel l’Hexagone n’a représenté que 0,5 % du commerce extérieur en 2022 (contre environ 38,5 % pour la Chine, importations et exportations confondues), en dit long sur la méconnaissance dont souffrent nombre d’acteurs économiques tricolores au sujet du monde francophone, et ce, … au plus grand bénéfice d’autres puissances.
Pour rappel, et ayant la particularité d’être considérés à la fois comme francophones et anglophones (pour avoir connu une double présence française et britannique, successivement), Maurice et les Seychelles sont comptabilisés aussi bien pour le calcul des taux de croissance, d’inflation et d’endettement globaux de l’Afrique subsaharienne francophone que pour ceux du reste de l’Afrique subsaharienne. Ce qui n’a, toutefois, qu’une incidence très limitée, voire nulle, sur les résultats obtenus (arrondis à une décimale), compte tenu du faible poids économique de ces deux pays, qui ne totalisent que 1,4 million d’habitants, par rapport aux deux ensembles cités.
Une inflation globalement maîtrisée en Afrique subsaharienne francophone
En dépit d’une hausse plus importante que par le passé des prix à la consommation, en raison des conséquences de la guerre en Ukraine, l’Afrique subsaharienne francophone a de nouveau affiché en 2023, et de loin, le niveau d’inflation le plus faible d’Afrique subsaharienne. Ainsi, et selon les dernières données du FMI, le taux d’inflation y a été de 7,2 % (en légère baisse par rapport à un taux de 7,4 % en 2022, et après un taux de seulement 4,2 % en 2021), tandis que le reste de l’Afrique subsaharienne a connu une inflation de 31,2 % (contre 21,5 % un an plus tôt). De son côté, la zone CFA a enregistré une hausse de 4,6 %, contre 6,5 % l’année précédente. Pour rappel, la détermination du taux d’inflation global d’un groupe de pays s’obtient par la prise en compte du PIB de chaque pays calculé sur la base de la parité de pouvoir d’achat (PPA).
Par ailleurs, il convient de préciser que les taux obtenus tiennent compte de la Mauritanie, du Soudan, de la Somalie et de Djibouti. En effet, et contrairement à la Banque mondiale, ces quatre pays ne sont pas considérés par le FMI comme faisant partie de l’Afrique subsaharienne, alors qu’ils sont bel et bien subsahariens (une « exclusion » qui s’explique par des raisons « culturelles », et en particulier linguistiques…). L’intégration pleinement justifiée du Soudan dans le calcul du taux d’inflation global de l’Afrique subsaharienne non francophone contribue au niveau globalement élevé de l’inflation pour cette partie du continent, le pays ayant enregistré une hausse des prix à la consommation de non moins de 171,5 % en 2023, après un taux de 138,8 % l’année précédente (une inflation très élevée qui dure depuis plusieurs années, accompagnant la grave crise économique qui frappe le pays, et qui a donc commencé bien avant la guerre civile actuelle).
Les quatre premières économies de l’Afrique subsaharienne francophone, à savoir la Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal, ont connu en 2023 une inflation de 4,4 %, 19,9 %, 7,4 % et 5,9 %, respectivement. De leur côté, les quatre premières économies du reste de l’Afrique subsaharienne, à savoir l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie et le Kenya, ont enregistré un taux de 6,1 %, 24,7 %, 30,2 % et 7,7 %.
Sur la décennie 2014-2023, le taux d’inflation annuel s’est donc établi à 4,1 % pour l’Afrique subsaharienne francophone (et seulement 2,2 % en zone CFA), alors qu’il a atteint un niveau de 17,2 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. La Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal ont respectivement enregistré un taux annuel de 1,8 %, 11,9 %, 2,8 % et 2,3 %. Quant à l’Afrique du Sud, au Nigeria, à l’Éthiopie et au Kenya, ceux-ci ont observé une inflation de 5,2 %, 14,6 %, 17,1 % et 6,4 %.
Au cours des dix dernières années, l’Afrique francophone subsaharienne a donc réussi à afficher le niveau d’inflation le plus faible tout au long de la période, tout en ayant chaque année le taux de croissance économique le plus élevé. En réalisant cette double performance, l’Afrique francophone subsaharienne est ainsi parvenue à donner clairement tort à certains commentateurs, qui considèrent que la faible inflation qui caractérise cet ensemble constitue un frein à sa croissance économique.
Un endettement également maîtrisé en Afrique subsaharienne francophone
Selon les dernières estimations du FMI, la dette publique continue à être globalement maîtrisée en Afrique subsaharienne francophone, qui demeure la partie la moins endettée du continent. De nouveau, seuls deux pays francophones font partie des dix pays subsahariens les plus endettés en 2023, à savoir le Congo et Maurice, qui occupent respectivement la cinquième et la neuvième place, avec une dette publique de 100,8 % et 85,6 % du PIB. Le Congo est précédé par le Soudan, qui se classe encore en première position (316,5 % du PIB), l’Érythrée (215,4 %), le Cap-Vert (115,4 %) et la Zambie (115,2 %). Et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, le premier pays francophone n’arrive qu’en quatrième position, à savoir le Sénégal. Celui-ci affiche un taux d’endettement de 79,6 %, et se place derrière le Cap-Vert, le Ghana (86,1 %) et la Sierra Leone (80,0 %).
Globalement, le taux d’endettement de l’Afrique subsaharienne francophone s’établit à 51,3 % du PIB pour l’année 2023, contre 67,1 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne, soit un écart de non moins de 15,8 points de pourcentage. Un écart qui a d’ailleurs augmenté par rapport à 2022, quand les deux ensembles avaient respectivement affiché un taux global de 49,9 % et de 62,0 %. Et comme pour les années précédentes, seuls deux pays francophones se trouvent parmi les dix pays les plus endettés d’Afrique subsaharienne. Toutefois, il convient de noter qu’il s’agit de la première fois depuis de nombreuses années qu’un pays francophone fait partie des cinq pays subsahariens les plus endettés.
Au cours de la dernière décennie, l’Afrique subsaharienne francophone a donc affiché le plus faible niveau d’endettement tout au long des dix années de la période. Cette assez bonne maîtrise de la dette, globalement, résulte notamment du dynamisme économique que connaissent la plupart des pays francophones subsahariens, et découlant lui-même des importantes avancées réalisées ces dernières années en matière d’amélioration du climat des affaires, de diversification et de de bonne gouvernance. Dans l’ensemble, l’Afrique francophone a donc été mieux armée pour faire face aux crises majeures ayant secoué le monde durant ces trois dernières années, et financer le redémarrage de l’activité économique.
Des perspectives globalement encourageantes pour 2024
Même s’il convient de toujours faire preuve de prudence au sujet des prévisions établies en milieu d’année, l’Afrique subsaharienne francophone devrait une nouvelle fois être le moteur de la croissance africaine en 2024, avec une progression estimée à 4,9 % selon les données de la Banque mondiale, contre 3,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Et ce, tout en demeurant la partie la moins touchée par l’inflation et la moins endettée du continent.
Les pays francophones importateurs nets d’hydrocarbures (soit la majorité des pays francophones subsahariens) devraient bénéficier de la baisse des cours des hydrocarbures, revenus à un niveau comparable à celui qui prévalait avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Quant aux problèmes sécuritaires affectant certains pays de la zone sahélienne, ceux-ci ne devraient pas avoir d’impact significatif sur les performances globales de la région, du moins s’ils continuent à se limiter essentiellement à des zones semi-arides et faiblement peuplées. Il convient d’ailleurs de rappeler que la gravité de ces troubles est encore sans commune mesure avec le désordre récemment observé dans certains pays d’Afrique de l’Est (Soudan, Soudan du Sud, Éthiopie et Somalie).
Par ailleurs, et parallèlement à l’évolution du contexte international, le continent africain devrait voir la poursuite de la mise en place progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), entamée le 1er janvier 2021 et qui constitue un élément favorable à la croissance. Du moins d’un point de vue théorique, puisque qu’il convient de rappeler que la hausse des échanges entre pays ne dépend pas seulement de la réduction significative des barrières douanières entre ces mêmes pays, mais également et surtout de la capacité de ces derniers à produire des biens, grâce à la mise en place préalable d’un environnement national favorable à l’investissement (cadres juridique, réglementaire et fiscal, infrastructures et formation, devant permettre à la fois de produire et d’être compétitif). L’évolution assez faible des échanges au sein des ensembles régionaux ayant déjà abaissé ou supprimé les taxes douanières est là pour le démontrer.
Il en va d’ailleurs de même pour la monnaie unique, à l’instar de l’Eco que les pays d’Afrique de l’Ouest, membres de la CEDEAO, semblent souhaiter mettre en place. Ainsi, force est de constater que les échanges n’ont toujours pas atteint un niveau satisfaisant entre les pays de la zone UEMOA, qui bénéficient déjà, et depuis longtemps, d’une vaste zone de libre-échange doublée d’une monnaie unique. Autre exemple intéressant, la part de la zone euro dans le commerce extérieur de la France a baissé depuis la mise en place de cette monnaie unique, suite à une augmentation plus importante des échanges entre la France et le reste du monde qu’avec les pays de la zone euro. Ce qui permet, d’ailleurs, de constater que les flux commerciaux entre la France et les autres pays de la zone monétaire étaient déjà très importants avant l’adoption d’une monnaie unique…
Dans ce cadre, il est à noter que le report - à une date encore incertaine - de la création d’une monnaie unique ouest-africaine constitue une nouvelle rassurante pour les pays de la région. En effet, l’économie de ces derniers connaîtrait de grandes difficultés avec l’adhésion à une zone monétaire incluant le Nigeria, dont la stagnation économique, combinée au poids démographique du pays, tirerait vers le bas l’ensemble des autres pays de la région, qu’ils soient francophones, anglophones ou lusophones. Un problème qui ne se poserait d’ailleurs pas autant avec l’intégration d’autres pays en crise, comme le Ghana, dont les graves difficultés économiques sont absorbables compte tenu de son poids démographique « raisonnable », par rapport aux pays voisins.
Il convient, en effet, de rappeler que le Nigeria connaît de graves problèmes structurels depuis de nombreuses années, et se traduisant notamment par une faible croissance économique (et de surcroît, souvent inférieure à sa croissance démographique), une inflation à deux chiffres, et une monnaie ayant perdu 83 % de sa valeur face au dollar sur la décennie 2014-2023 (et plus de 99,9 % de sa valeur depuis sa création en 1973). Ainsi, et tant que le Nigeria n’aura pas résolu ses lourds problèmes structurels, l’adhésion du pays à une monnaie ouest-africaine est de nature à déstabiliser profondément les économies de tous les autres pays qui partageraient cette même monnaie, à travers une importante perte de valeur de celle-ci.
Les pays de l’UEMOA, qui sont largement en avance en matière de discipline budgétaire et de bonne gouvernance par rapport aux autres pays de la région, et qui forment la zone la plus dynamique d’Afrique de l’Ouest et la plus vaste zone de forte croissance du continent, verraient ainsi leur croissance baisser significativement, tout en voyant leur niveau d’inflation fortement augmenter. Par ailleurs, le déclin économique du Nigeria est de nature, à terme, à accroître considérablement l’émigration de Nigérians vers les pays francophones voisins, qui pourraient alors faire face à certaines difficultés en cas d’immigration de grande ampleur.